Rencontre avec D. Defert (2/2)

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Un aperçu de la traduction littéraire. Entretien avec Dominique Defert.

Après son intervention à Pise, Dominique Defert a gentiment accepté de répondre à quelques questions lors d’un entretien privé, avec honnêteté, franchise et simplicité. Je vous livre un condensé de cette discussion.

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Comment devient-on traducteur littéraire ?

Après des études scientifiques, puis cinématographiques, Dominique, artiste aux multiples talents, s’est lancé dans l’écriture. . Après avoir lu ses nouvelles, Gérard Klein (auteur de SF et directeur de la collection Ailleurs & Demain chez Robert Laffont) lui a proposé de s’essayer à la traduction.

Selon lui, aujourd’hui encore, ce que recherchent les maisons d’édition ce sont avant tout des « plumes », des gens qui écrivent eux-mêmes et qui savent donner envie de lire un texte. Évidemment, le diplôme de traducteur littéraire délivré par une université prestigieuse peut constituer un avantage, mais l’essentiel est de savoir raconter une histoire, d’être un écrivain dans l’âme.

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Comment conserver la motivation ?

Comme nous l’avons vu dans le premier article consacré à Dominique Defert, la passion et le plaisir sont pour lui deux notions capitales. Impossible de produire un travail de qualité sans ces deux composantes. Pour conserver la motivation, il faut savoir se faire plaisir.

Dominique utilise un système que nous pouvons tous appliquer, quelle que soit notre spécialité : se promettre un petit cadeau pour la fin d’un projet conséquent et le visualiser dès le début du projet.

Pendant la traduction d’Inferno, de Dan Brown, il conservait à vue une photo de la superbe Corvette qu’il avait décidé de s’offrir. Bon, nous n’avons pas souvent des contrats qui couvrent ce genre de dépense, c’est vrai. Mais un petit cadeau, ça fait plaisir.

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Comment est calculée la rémunération d’un traducteur littéraire ?

Il reçoit une provision, une avance sur les droits d’auteur, calculée à la page traduite en français. Le tarif est d’environ 20€ / page de 1 500 signes. Si le livre se vend bien (plus de 80 000 exemplaires), les droits d’auteur dépassent la provision et le traducteur percevra la différence. Si le livre n’atteint pas le volume de vente escompté, la provision reste cependant la propriété du traducteur.

Pour gagner sa vie, un traducteur littéraire doit traduire 10 pages par jour (ce qui signifie produire entre 15 et 20 pages quand on travaille de l’anglais vers le français), en considérant trois jets : le premier jet, la relecture d’un chapitre (ou autre unité de sens) et la relecture globale, pour s’assurer de la cohérence.

Évidemment, les droits d’auteur pour la traduction d’un best-seller tel qu’Inferno dépassent largement la provision. Lors de la conférence qu’il a donnée à Pise, Dominique nous a annoncé un salaire équivalent à quatre années de travail.

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Comment gérer la cohérence lorsque plusieurs traducteurs collaborent ?

Le traducteur référent (jouant un peu le rôle de PM) donne ses consignes de base à ses collaborateurs. C’est lui qui effectue la première relecture, approfondissant les consignes si nécessaire, puis la traduction finale pour vérifier la cohérence. Par exemple, Dominique insistera sur la rédaction de phrases courtes, percutantes, le choix de termes inattendus et le refus des lieux communs. Selon lui, l’un des secrets pour captiver le lecteur, c’est de ne jamais écrire le mot auquel il s’attend.

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De grandes découvertes ?
Dominique Defert partage son expérience avec les membres de ProZ.com à Pise.
Dominique Defert partage son expérience avec les membres de ProZ.com à Pise.

Au fil de sa carrière, certains auteurs ou romans ont particulièrement touché Dominique.

Lors de la réédition de Salem, le traducteur à découvert des extraits inédits qu’il a tenu à intégrer au roman et qui recèlent des talents d’auteur rarement présentés dans les romans de Stephen King.

La traduction du Pied mécanique, de Joshua Ferris, et de Une Constellation de Phénomènes vitaux, d’Anthony Marra ont également constitué une très agréable découverte.

Même si Dominique met un point d’honneur à soigner son écriture, lorsqu’il se trouve confronté à une si belle écriture, il se doit de lui rendre justice.

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Comment vit-on cette position entre ombre et lumière ?

Avant d’être moi-même traductrice, je n’ai jamais pensé aux traducteurs de mes romans favoris. Quand on lit un roman de Stephen King, Dean Koontz, Arthur C. Clark ou Dan Brown, on oublie qu’en réalité, c’est la plume du traducteur que l’on lit. J’ai probablement lu plusieurs romans traduits par Dominique Defert sans avoir jamais lu ou pris connaissance de son nom… Et je ne suis pas une exception. Je lui ai donc demandé si cette position n’est pas trop frustrante. La réponse de Dominique, claire, limpide, m’a surprise… et puis j’ai compris.

« Non. », m’a-t-il simplement dit. « Du moment que l’on a compris quelle est la place de chacun, cela ne pose aucun problème. »

Ayant porté les deux costumes, il connaît les inconvénients du romancier. Le traducteur n’a à affronter ni l’angoisse de la page blanche ni celle de savoir si son roman intéressera les lecteurs. Combien de romans avortés avant la vingtième page parce que l’auteur a un doute ? Le traducteur sait que l’histoire plaira, elle a déjà plu.

Dominique trouve donc normal que le créateur reçoive les lauriers de sa création.

Par contre, il ne boude pas son plaisir quand le journaliste du Parisien , qui a lu les romans de Dan Brown dans la traduction française note que la qualité littéraire s’est améliorée dans les derniers opus.

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Quelle est la marge de manœuvre du traducteur littéraire ?

Pour Dominique, le traducteur est relativement libre en matière de style mais se doit de respecter l’intention de l’auteur. Il doit coller au sens bien plus qu’aux mots. Pour conserver une cohérence stylistique, il peut être bon de se documenter et de lire les précédentes traductions des œuvres de l’auteur.

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Mais y a-t-il une place pour la personnalité du traducteur ?

Oui, et c’est heureux car Dominique tient à son individualité. Il l’explique, comparant son métier à celui d’un pizzaiolo : « Si le livre devait être comparé à une pizza, le traducteur littéraire ne serait pas le type qui livre une pizza cuisinée par un autre, mais un pizzaiolo qui crée une nouvelle pizza sur base de la recette d’un autre. »

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Quelles sont les erreurs fatales ?

Le traducteur littéraire doit éviter les contre-sens. Il accorde une grande attention à la situation des personnages et de la scène et cherche à comprendre intimement l’intrigue, la psychologie des personnages et les intentions de l’auteur.

Le traducteur doit se tenir à son rôle sans jamais le confondre avec celui de l’auteur. Parfois, il peut être tenté de substituer sa propre vision à celle de l’auteur. Dans ce cas, il pourrait involontairement passer à côté d’un détail important ou créer une image éloignée de celle de l’auteur et donc dénaturer le texte.

Enfin, selon Dominique, la pire erreur, impardonnable, est d’écrire un texte moins bon que le texte original.

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Un petit côté Indiana Jones ?

Je suis à la fois ravie et honorée d’avoir fait la connaissance de ce Monsieur passionnant.

Cela peut sembler futile mais j’ai été intriguée par son chapeau, pourtant cet accessoire le représente parfaitement.

Patiné par l’expérience, il est à la fois chic et non conventionnel, signe distinctif d’un personnage hors du commun et pourtant accessible, aventurier et artiste, simple mais précieux.

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Merci beaucoup, Monsieur Defert, pour la gentillesse, la simplicité et l’honnêteté avec lesquelles vous avez répondu à mes questions. Au plaisir de vous lire.